La liberté selon Damien Seguin

La liberté dans mon métier et plus particulièrement dans mon sport, c’est la capacité à faire des choix à tous les niveaux, c’est-à-dire, ne pas être contraint par des choses extérieures. Personnellement, ce que je recherche au travers de la course au large, c’est de me libérer de la vie de terrien. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi la voile. Évidemment, pratiquer ce sport à haut niveau restreint ma liberté puisque j’ai énormément de contraintes comme par exemple, répondre aux médias, me rendre disponible pour mon sponsor qui, et c’est normal, veut avoir de mes nouvelles et je ne parle même pas des obligations qui sont liées à ma sécurité. Mais finalement, ces contraintes, je les ai choisies. Pour moi, la liberté c’est ça : choisir ses contraintes et non les subir. Du coup, cela me permet de bien les vivre et de bien les assimiler. 

 

La vraie liberté pour moi, c’est de composer avec les éléments naturels. Par exemple, je me souviens quand j’ai fait le Vendée Globe. Nous sommes le 25 décembre, jour de noël, je suis seul en mer et je croise deux baleines, une maman et son petit. J’étais fou, complètement émerveillé de voir un si beau spectacle. J’ai mesuré la chance incroyable de vivre cela. Cela qui revêt d’une certaine liberté puisque ce n’est pas accessible à tout le monde mais en même temps, cela m’a remis en pleine figure toutes les contraintes auxquelles je devais faire face alors que j’étais en course autour du monde. En résumé, elles, elles étaient libres, elles étaient dans leur élément et je venais probablement les perturber. Du coup, honnêtement, moi sur mon bateau, je me sentais tout petit. Je devais veiller à faire attention à mon bateau, à ma sécurité. 

 

Par ailleurs, quand on fait un tour du monde en solitaire sans assistance et sans escale, il y a une autre contrainte que nous subissons : la compétition. En effet, la route des trois caps et invite à passer dans ou près d’endroits magnifiques que nous voudrions tous visiter, mais la compétition nous oblige à nous battre, à essayer d’être devant, d’être le meilleur. Évidemment que sans cette compétition, je mettrais parfois le clignotant à gauche ou à droite et m’arrêterais pour découvrir ces endroits, que j’aperçois ou ne vois que de loin. C’est certain que si j’avais vraiment le choix, je ferais autrement. Mais cela fait partie de notre métier de coureur au large et je l’accepte. 

 

Et puis les compétitions ne sont pas les mêmes. Chaque marin, chaque athlète ne les vit pas de la même manière. Par exemple, les Jeux Olympiques sont beaucoup plus contraignants sur certains points : l’organisation, les horaires de compétition, l’obligation de moyens pour avoir le meilleur résultat … mais à contrario, c’est très encadré, nous avons plein de personnes autour de nous qui sont à nos petits soins. En fait, la seule chose sur laquelle nous avons à nous concentrer quand on fait les JO, c’est la performance ce qui n’est pas le cas en course au large. En effet, aujourd’hui je suis à la tête d’un projet, avec certes, une équipe qui m’aide beaucoup. Mais néanmoins quand on part sur un tour du monde, seul pendant quasiment trois mois sur un tel bateau, on se doit de tout maîtriser, de tout connaître ce qui implique un énorme investissement et une charge mentale nettement supérieure. Et de ce fait, une liberté moindre.  

 

Pour moi aujourd’hui, la vraie liberté serait de faire un tour du monde en famille en reprenant les éléments que j’aime bien à savoir un bateau, des océans, du vent pour se déplacer sans contrainte de performance, de temps à respecter, de vitesse à atteindre, de route à suivre. En résumé, un tour du monde en famille, sans objectif si ce n’est que celui de prendre du plaisir, ressemblerait bien à mon idéal de liberté. Après, je ne pense pas que la liberté ne soit liée qu’à la voile. J’en parle plus facilement car je maîtrise les choses techniques et du coup, je suis capable de me libérer d’un certain nombre de choses. J’aurais beaucoup plus de mal à le faire en Amazonie ou en montagne, ce qui impliquerait une liberté beaucoup plus bridée.