André Velter : L'océan le miroir de nos rêves

Vers de plus vastes songes

Je ne suis qu’un marin occasionnel.

Je ne serai jamais capitaine au long cours.

Je ne peux me rêver qu’en navigateur sans escale.

À part ça j’ai en moi tous les océans du monde.

 

*

 

Avec Pessoa, un matin d’été

Sur un quai de Lisbonne,

J’ai vu ce halo d’infini dans un lointain de houle,

Et ce même infini

Qui battait d’impatience tout au fond de mon cœur

Comme un ressac de vague à l’âme.

 

C’était un appel nommément atlantique !

Chant qui prenait le large

Chaque fois qu’un voilier, un paquebot

Et pourquoi pas un remorqueur,

Quittait le port.

 

Chant d’ici, mais si peu,

Si peuplé d’un ailleurs sentimental

Qui s’en allait défaillir jusqu’à Buenos Aires,

Via les arpèges démâtés d’un violoniste fou

Dans une île du Cap vert.

 

*

 

Avec Camões, quasi mendiant

Par les rues de Goa,

J’ai séché au soleil du soir

L’énorme manuscrit des Lusiades

Qu’il avait arrimé entre ses dents

Pour le sauver de la noyade.

 

 

C’était mesurer aux rives indiennes

La démesure des au-delà sur terre

À perte de crépuscule,

Quand la gloire ou la misère

N’ont tenu qu’à un naufrage ajourné.

 

Tant de souffle englouti, renaissant, ravivé

Au nom d’une patrie de ciel et d’eau

Qui n’avait d’autres frontières

Que celles des épopées par risques et bannissements,

Par vents portants imaginaires.

 

*

 

Avec Conrad, du temps de ses flibusteries

Dans la rade de Makassar,

J’ai déserté la mer de Chine,

comme Rimbaud jadis à Java

Avait déchiré ses contrats

Et largué l’armée des Indes néerlandaises.

 

C’était s’affranchir sans rémission

Des cruautés du Pacifique,

Souquer ferme et joyeux

Vers de plus vastes songes du côté d’Actéon,

En zone délivrée de tout et à l’écart de tout –

 

Précisément à l’orient des hommes,

Suivant la carte-portulan de celui qui se savait devin

À quelques encablures de l’envol insensé

Qui lie l’abîme au sublime,

Quand ce que nous sommes en vérité

Est bel et bien inaccessible.

André Velter

André Velter, Prix Goncourt de la Poésie (1996) et Grand prix international de Poésie de Saint-Malo (2000) est aussi l’auteur de nombreux essais. Il a publié en 2023, aux Éditions Gallimard, Trafiquer dans l’infini.